A l’origine de l’activité de PLSV à Port Louis en 2005, une poignée de passionnés de voile légère désireux d’offrir la possibilité de naviguer facilement. Facilement, c’est à dire le plus souvent possible sans avoir à se ruiner, ou tout simplement offrir la possibilité de naviguer même si de toute évidence l’inscription au « Yachting club local » n’est pas financièrement (et/ou philosophiquement) envisageable.
L’ADN de Porh Loeiz Skiff Voile est en gestation.
Mathieu MELLOU, actuel responsable technique du club portant une forte responsabilité dans sa création et son évolution, passionné de voile voile extrême, met rapidement en place un déroulé pédagogique innovant issu des ses réflexions lors d’activités d’enseignement dans des clubs de voile légère classiques.
Le moniteur restera sur support, ce qui lui permet de conserver un certain niveau, de partager au plus près sa pratique et de ne pas brûler d’essence inutilement.
Le pratiquant évolue dans un environnement sécurisant et bienveillant.
Ne pas avoir peur d’envisager le haut niveau.
En même temps, cette poignée de passionnés de la première heure réalise rapidement que le problème fondamental ne consiste pas en la possession du matériel le plus récent et brillant possible : le matériel doit être varié. Chacun prend l’habitude de vérifier son état de sécurité. Le reste…
L’affaire est lancée : passion, débrouillardise, partage, réflexion, innovation … et auto-formation continue au saut d’obstacle.
En 2019, les valeurs du club n’ont pas trahi ses origines et s’inscrivent évidemment dans la problématique écologique fondamentale, plus que jamais à l’ordre du jour:
Les objectifs de la formation :
- Convivialité, solidarité, confiance, ambiance familiale
- Acquisition et développement du sens marin, respect du milieu marin
- Transmission de compétence permanente et transversale
- Performance : viser le haut niveau, se former à des supports de haute technicité
Les objectifs du club :
- Faire perdurer l’action sociale de PLSV, persévérer à animer la rive gauche et toujours favoriser la voile pour tous
- Évoluer dans la frugalité, réfléchir à son empreinte carbone et à la gestion des déchets inhérente à toute activité humaine
- Durabilité. Faire durer le matériel le plus longtemps possible (que naviguent les bateaux moches!). Entretenir l’espace naturel et continuer à valoriser les lieux existants depuis le XVIII ème siècle
Pour aller plus loin dans les réflexions sur le développement durable et formaliser une démarche intuitive, Mathieu a réalisé en décembre une interview de Philippe OSSET président et co-fondateur de la société SOLINNEN (SOLutions INNovantes pour l’ENvironnement) mais également moniteur bénévole de PLSV.
Pour les plus courageux, quelques lignes à lire qui nous l’espérons vous intéresseront autant que nous.
En collaboration avec SOLINNEN, un travail de fond depuis 10 ans a permis à PLSV d’être aujourd’hui un projet alternatif utilisant des solutions innovantes, pour réduire le taux d’indice carbone lié à son activité nautique, réduire les coûts d’achat et d’usage des ressources par un ciblage précis des besoins, de valoriser un site naturel par la réduction et le nettoyage permanent des déchets urbains et humains, de minimiser son impact d’implantation au sol par des récupérations d’espace existants, depuis les travaux sous Louis XIV (tunnel de la Compagnie des Indes), jusqu’à ceux de la seconde guerre mondiale (remise en état de bunkers attenants à la plage).
La philosophie financière du club est de s’inscrire dans une « économie circulaire » comme l’entend la Fondation Ellen MacArthur , i.e. d’intégrer la notion de finitude de la planète au moment de faire des choix. L’activité humaine a atteint, et même dépassé, les limites de notre planète pour de nombreux impacts, et la croissance de la population mondiale à horizon 2050 va accentuer mécaniquement nos problèmes actuels (passer de 7 à 10 milliards d’individus, toutes choses égales par ailleurs, augmente tous les impacts de 30%).
Enfin, l’usage dispersif des ressources non renouvelables est irréversible ! Au niveau européen, les réglementations concernant l’économie circulaire encouragent à ne plus se permettre de pousser des comportements consommateurs de ressources. Ces comportements sont maintenant contraires à la politique européenne en matière d’usage de ressources.
Les éléments fournis ci-dessous reflètent l’interview réalisé en 2018 :
Supposons que notre civilisation doive durer encore 3000 années… pendant lesquelles les lois de la physique ne changeront pas ! Actuellement, le stock disponible sur la planète de nombreuses ressources métalliques indispensables à notre société humaine ne dépasse pas 100 ans d’usage au rythme actuel, même compte tenu de la valorisation qui peut être faite de ces ressources ! Quels métaux utiliseront nos arrières petits enfants ? Il est impératif de réduire l’usage net des ressources, ce qui abouti à une économie d’usage des ressources ET à une maximisation de leur valorisation en fin de vie. Ce constat est à la base de la notion d’économie circulaire. A défaut d’une circularité optimum, la civilisation future devra se passer de ces ressources du fait des pertes à chaque valorisation… ce qui « ne les aidera pas », bien au contraire !
On évoque souvent le mythe des « mines urbaines », pour renommer nos « décharges » en considérant que « rien ne se perd, tout se transforme ! », et que du coup on pourrait consommer tout ce qu’on veut, puisqu’on le récupérera bien « un jour ». Cependant ces mines urbaines ne pourront être complètement valorisées ! Si l’on en extrait le fer ou même le cuivre, les métaux rares qui s’y trouvent ont de fortes chances d’être « dissipés » dans la matrice des métaux récupérés – ils se seront ainsi transformés, seront bien présents mais sous une autre forme et ainsi ne seront plus disponibles pour de nouveaux usages par l’homme. Par ailleurs, on considère souvent que tout ce qui se trouve dans le patrimoine construit pourra être récupéré. Certes, en mettant en place les solutions appropriées. Mais le stock de ces matières est utilisé durablement pour ce patrimoine ! La croissance de la population ne va pas rendre disponible pour d’autres usages ce qui se trouve dans ce patrimoine construit, bien au contraire !
La hiérarchie réglementaire européenne vis-à-vis de l’usage des produits, et plus largement des ressources, est fondée sur la hiérarchie des 3R : Réduire d’abord, Réutiliser ensuite, et enfin Recycler. Cette hiérarchie date des années 1970 ! Cela correspondait à une prise de conscience. Elle a été introduite dans la réglementation européenne sous la forme de la « directive déchets de 2008 ». « Réduire » implique de réfléchir sur le long terme aux besoins, « Réutiliser » implique de mieux concevoir les produits en vue de leur réutilisation, et de mieux utiliser les produits pour cette même fin (réparer…). « Recycler » implique de limiter ce qu’on jette vers les incinérateurs ou pire en décharge. En France, la filière ECONAV est une réussite pour valoriser le matériel de la filière nautique.
Aujourd’hui, il est important de prendre en compte, dès la conception, cette fin de vie. On conçoit en prévoyant la fin de vie. Le concept de « conception en vue du démontage » (« design for disassembly ») s’est ainsi développé en France et en Europe : appliqué au matériel utilisé par les écoles de voile, il se traduit par une suggestion forte faite aux fabricants de s’appuyer sur les écoles de voile pour concevoir leur matériel autrement. Chaque école de voile peut jouer un rôle clef dans la filière nautique.
A terme, il est tout à fait raisonnable de placer les fabricants au cœur de l’activité des clubs : les clubs achèteront du temps (en heure) de navigation des bateaux, ces bateaux restant la propriété des fabricants. Alors les fabricants concevront des bateaux durables pour les clubs, résistants, facile à maintenir, et durables. Le business sera là pour les fabricants, mais il ne s’appuiera plus sur la consommation de ressources (= l’achat de bateaux neufs très régulièrement, consommant ainsi de nombreuses ressources rares et chères, le fabricant ne réalisant pas la majeure partie de la valeur ajoutée – plutôt les fournisseurs de matériaux), mais plutôt sur l’activité humaine (création et maintien d’emplois chez les fabricants qui feront la maintenance. Le fabricant aura alors la majeure partie de la valeur ajoutée, et maximisera son bénéfice s’il consomme le moins de ressources possible, et s’il maintien en état les bateaux plutôt que les remplacer).
Il faut valoriser le temps de travail, et éviter ainsi de consommer des ressources ! Utilisons du travail, pas des ressources !
Cette pratique encouragera les fabricants à ne pas mettre de pièces fragiles, évitant l’obsolescence rapide des bateaux. Le progrès de performance des bateaux se réalisera avec des bateaux où il sera possible de changer les pièces, en réalisant un démontage approprié.
Il faut ancrer cette nouvelle philosophie : on veut un pouvoir d’usage, on doit pouvoir faire de la voile quand on veut ! On ne parlera plus de « pouvoir d’achat » mais de « pouvoir d’usage » !
L’exemple du club de PLS Voile est typique de la mise en œuvre de cette philosophie : « Je n’ai pas de moyens d’avoir un bateau donc d’être propriétaire, pas grave ! Je peux naviguer à PLS Voile toute l’année, à tarif abordable avec le sentiment de fonctionner comme un propriétaire puisque j’ai une mise à disposition de matériel que je dois réparer et entretenir pour le faire perdurer avec des conseils de professionnels qui n’entourent et me conseillent ». L’ADN de PLS Voile, c’est d’être un club résiliant dans notre ère moderne.
Ne plus acheter de matériel neuf permet d’orienter le club vers une autonomie financière (sans subvention) et permet alors l’intégration sociale au niveau local, car on n’a plus besoin de pratiquer des tarifs prohibitifs, chacun peut venir pratiquer. C’est d’un autre temps que de promouvoir uniquement des adhésions élitistes.
Au-delà de l’achat de services mentionné plus haut, il est important que les gens viennent donner leur matériel inutilisé, ce qui permettra de maintenir encore plus facilement les bateaux en cours d’utilisation. Mais qu’est ce qui fait que les gens conservent chez eux du matériel non utilisé ? Différents profils de « gardeurs » de matériel de voile existent (extrapolé d’une présentation d’ESR, l’un des éco-organismes en charge de gérer les déchets électriques et électroniques) :L’utilitaire : je garde ces cinq voiles de planche à voile, au cas où… même si je n’ai plus de planche à voile, car ça peut servir.
Le sentimental : c’est ma mère qui m’a payé ce 4,20… qui pourrit pourtant au fond de mon jardin.
Le businessman : cette pagaie carbone m’avait coûté tellement cher… je la garde, même si je n’ai plus de kayak pour l’utiliser.
Le collectionneur : j’ai tous les modèles de gilets de sauvetage depuis 30 ans dans mon grenier, je peux parler 1h de chacun… mais je n’en porte plus depuis longtemps puisque je n’ai plus mis les pieds sur un bateau depuis 10 ans.Philippe OSSET – Port Louis – Décembre 2018.
Face à quelqu’un qui a du matériel (quasi-neuf, souvent) en stock (un « gardeur » donc), il faut qu’il y ait une personne qui lui explique que ce matériel va resservir tout de suite et permettra de proposer une offre à moindre coût pour les adhérents ! Grâce à cela, le taux de dons de matériel va augmenter ! Car les gardeurs sauront qu’on utilisera (sans le jeter) ce matériel, valorisant donc leur geste d’apport. Et celui qui donne pourra même en profiter s’il lui reprend l’envie de naviguer !
C’est comme cela qu’agit aussi PLS Voile avec ses adhérents et ses soutiens, nombreux ! Et cela fonctionne ! C’est comme cela que l’on passera les 3000 ans de civilisation qu’il nous reste !